Eglise Saint Saturnin de Palairac
La cloche Hermestine Justine

La
cloche Hermestine Justine (1878) pose une énigme historique non résolue
jusqu'à présent. L'installation d'une nouvelle cloche, en remplacement
d'une autre (un inventaire des années 1860 concernant une visite
pastorale de l'évêque cite déjà deux cloches), est un événement qui ne
passe pas inaperçu. Toutefois les recherches entreprises jusqu'à
maintenant n'ont rien donné quant au commanditaire de celle-ci. La
consultation de la Semaine Religieuse, une demande de renseignement
officielle à l'évêché de Carcassonne, la consultation des archives :
décision du Conseil de Fabrique, délibération du Conseil Municipal, ...
n'ont rien apporté. Concernant le Conseil de Fabrique dont on connait
précisément la composition de 1877 à 1879, le registre cite en 1877 des
travaux de reconstruction de la tribune (galerie) et en 1879 des
travaux sur le porche (sa toiture). Rien entre les deux... Seul un
résumé du budget communal 1878 semble donner un salaire
"supplémentaire" au carillonneur (?) Bissière.

La
bénédiction d'une cloche, improprement appelée baptême, est une
opération réalisée par l'évêque. Toutefois celui-ci peut déléguer, au
curé notamment. A l'occasion du baptême sont présents un parrain et une
marraine. Ils choisissent un nom pour la cloche. Ils donnent très
souvent leurs noms (prénoms) à la cloche, mais pas toujours. Les noms
peuvent être masculin ou féminin. Ce sont généralement les noms apposés
à la cloche lors de sa fabrication. La féminisation des noms est
courante mais pas obligatoire. Les parrain et marraine sont souvent les
commanditaires de la cloche et les généreux donateurs. Ce sont, dans la
plupart des cas, des habitants du lieu assez fortunés pour payer cette
dépense.
Le S semble légèrement plus haut et l'aboutissement d'une taille des
lettres HERMES allant en croissant...

Par
les deux noms installés sur la cloche, Justine et Hermestine, en
consultant les registres d'état civil, il est possible de trouver
quelques indications qui font cruellement défaut ailleurs. Justine
était un nom assez courant à l'époque. En 1878, plusieurs femmes
portaient ce prénom, en premier prénom, voire en second. En éliminant
celle dont c'est le second prénom, celle qui s'est mariée avec
quelqu'un qui n'était pas du village, il reste Justine Combres, agée de
55 ans, épouse Jean-Théodore Souillard (mariée le 10 mai 1855).
Jean-Théodore Souillard a été Maire de Palairac en ... 1878. Ayant
occupé pendant plusieurs années la fonction d'Adjoint, son court mandat
de Maire s'est étendu du 21 janvier 1878 au jour de son décès au mois
d'octobre de la même année. Les années s'écoulant de 1870 à début 1900,
à part une période de 10 ans entre 1888 et 1898, ont été marquées par
une instabilité "politique" notoire à Palairac, les mandats de Maires
ne durant pas plus de 2 ou 3 ans. Une dissolution a même été prononcée
en janvier 1903 suite aux abstentions, à deux reprises, des électeurs
lors de scrutins consécutifs à une démission de plus de la moitié du
Conseil.
Un changement de curé s'est également fait au mois d'avril 1878 :
Pierre Loumagne a remplacé Elie Berthomieu
*,
nommé à Brousse et Villaret.
Le deuxième prénom, Hermestine, le seul des deux désignés par un doigt
sur la cloche, pose plus de problème. Hermestine était (et est
toujours) un prénom quasi inexistant. On peut penser que c'est une
féminisation de Hermes (ou d'Hermest, issu d'Hermes). Au masculin, bien
que plus courant, le prénom Hermes était cependant assez rare.

Un
homme portait à Palairac ce prénom en 1878. C'était un adolescent à
l'époque, il avait 16 ans. Il est né le 23 janvier 1862 et ses parents
étaient Jean-Paul Soucaille et et Christine Souillard, mariés à
Palairac le 9 février 1859. Ce couple a nommé ce premier enfant Hermes
en premier prénom, Elie en second... Jean-paul Soucaille et Christine
Souillard ont eu deux autres enfants : François Régis (mort à 3 ans) et
Marie Armandine Elise. Quels parrain et marraine ont choisi Hermes Elie
** pour le premier-né , prénoms bien moins
conventionnels que ceux des autres enfants ? Hermes a été nommé, par
l'Etat, Président d'une délégation communale faisant office de Conseil
Municipal en janvier 1903 suite aux élections infructueuses. Aux
élections suivantes il fut élu Maire et garda cette fonction jusqu'en
décembre 1919. Il est mort en 1947.
Dans les années 1920, Hermès fit construire une maison de maître sur le
haut du village. Elle comporte cette pierre au second étage sur le
pignon côté rue, représentant deux têtes jumelles (frères) supportant
la même pierre taillée...

Seul
le nom Hermestine possède une main à sa gauche. Un point se trouve
toutefois à droite du nom Justine (tout à droite sur la première photo
en haut de page). A-t-on voulu seulement par cette main et ce point
donner le sens de lecture Hermestine Justine à la place de Justine
Hermestine ?
La famille Souillard, la plus riche de l'époque selon les anciens,
est-elle le commanditaire de cette cloche ? Ou la famille Soucaille ?
Des parrain et marraine inconnus sont-ils intervenus ? Qui a décidé de
marquer le nom Hermestine en voulant insister sur Hermes
***
et d'écrire ce nom dans la partie non visible (cachée) de la cloche ?
Qui a décidé d'adjoindre à la cloche cette tête féminine sculptée sur
la baie nord du clocheton ?
Il n'y a pour l'instant, et peut-être à jamais, aucune réponse à ces
questions. Cela laisse le champ ouvert aux interprétations de la
symbolique représentée.
Notes :
* Pour la petite histoire,
lors de son "exil" en 1886 à Narbonne comme professeur au petit
séminaire, l'abbé Bérenger Saunière, le fameux curé de
Rennes-le-Château, a eu comme collège de travail un autre professeur de ce petit séminaire : le prêtre Berthomieu ...
** Hermès prénom d'origine grecque et Elie
d'origine judaïque. Hermès est Mercure, messager des Dieux, ou encore
le mercure. Elie, "Mon Dieu est YHVH", emporté au Ciel par un char
céleste, avait le don de faire descendre le Feu du Ciel. L'abrégé des
deux noms pourrait être : le mercure et le feu te suffisent...
*** Hasard ou rapport ? En 1877, du temps
de Mgr Albert Leuillieux, les restes de Saint
Hermès, récemment découverts, ont été transférés d'Italie vers l'église Saint Vincent de
Carcassonne. Sa dépouille, bien peu visible, se trouve sous l'autel au
bas de la chapelle Saint Roch. Un indult de mars 1877 autorise une fête
spéciale dans cette église en l'honneur du Saint. En août 1881 le tout
nouvel évêque de Carcassonne, Arsène Billard vint vénérer
le corps du jeune martyr. Cinq ans auparavant, vicaire de l'Archevêque
de Rouen, il accompagna au Vatican ce dernier, le Cardinal Henri de
Bonnechose, pour une rencontre avec le Pape. Etait-ce pour négocier la
venue de Saint Hermès à Carcassonne ? Le Cardinal de Bonnechose avait
été évêque de Carcassonne de 1848 à 1855.